On entend de plus en plus parler de l’importance que les jeunes entreprises accordent aux valeurs sociales et environnementales. J’entends souvent dire par plusieurs entreprises qu’ils aimeraient bien avoir un impact social plus grand, mais que c’est difficile vu qu’elles sont à but lucratifs. C’est faux ! En effet, je ne vois pas et je ne comprends pas, pourquoi implication sociale devrait obligatoirement être réservée aux organismes sans but lucratif.
Au contraire, dans ce texte, je vais vous expliquer comment et pourquoi je me suis intéressé et ouvert à l’embauche de personnes ayant des contraintes physiques ou intellectuelles. Petite mise en garde, il se pourrait qu’après cette lecture, vous ayez envie de faire comme moi et j’en serais ravi !
Tout a commencé en 2012, Cartouches Certifiées est sur le point de fêter ses 4 ans. Un premier constat dans nos opérations est que nous avons certaines tâches manuelles, plutôt simples et répétitives, un peu comme un travail à la chaîne. Idéalement, il faut trouver quelqu’un qui se plaira à travailler dans la routine, où le niveau de stress est assez faible, et qui arrivera tout de même à garder sa concentration tout au long de la journée pour garder un contrôle de qualité approprié. Voilà que j’entends parler du syndrome d’Asperger, qui se caractérise par des difficultés significatives dans les interactions sociales, associées à des intérêts restreints et/ou des comportements répétitifs. Je ne me rappelle plus trop comment, mais je suis entré en contact avec Opération Placement Jeunesse, qui vise à intégrer des jeunes de 16 à 30 ans qui se sont éloignés du marché du travail.
L’organisme me propose alors un premier candidat avec qui nous effectuons une visite guidée de nos locaux et des tâches à faire. L’intégration se fait tranquillement sur une base volontaire de demi-journées pour les premières semaines.
Après ces quelques jours à l’essai, il s’avère un choix idéal. Le match est parfait entre les responsabilités que nous offrions et les défis qu’il recherchait. Je n’étais même pas inquiet de sa capacité à faire le travail, car les feedbacks sur les premières journées étaient positifs et à mes yeux quelqu’un qui est prêt à venir faire un essai sur une base volontaire et sans salaire représente déjà une grande preuve d’engagement. Ma seule crainte était de ne peut-être pas bien savoir comment interagir avec lui. Est-ce que j’allais lui mettre trop de pression ? Finalement, tout s’apprend et j’ai appris que la seule barrière était la peur de l’inconnu. D’un point de vue entrepreneur d’une jeune startup, je ne cacherai pas que ce qui m’avait incité à laisser sa chance au coureur était que j’avais le droit à une subvention salariale durant quelques semaines par Emploi-Qc. Voici plus de détails sur cette subvention. Mon risque était finalement assez faible et c’est comme ça que j’ai pu m’impliquer socialement pour la première fois. Nous sommes 4 ans plus tard et cet employé est le 3e plus ancien de l’entreprise. Côté stabilité et roulement d’employés, on a pu assurer.
C’est un SUCCÈS !
Attendez de voir la suite, là on pourra parler d’un vrai succès sur toute la ligne. Il y a environ 3 ans, j’ai approché le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement de Montréal (CRDITED de Montréal). Je leur explique mes besoins et le type de tâches que j’avais à faire. J’essayais de leur dire quel type de candidat je voulais pour faire tels types de tâches. Une grosse erreur ! Si j’avais un seul conseil à vous donner: faites leur faire un tour de votre entreprise et expliquez leur toutes vos opérations. Ils seront en mesure de vous dire qui dans leurs usagers pourra être un bon fit pour vous et ils pourront même vous proposer des idées pour des tâches que vous n’auriez pas pensé pouvoir leur déléguer. J’ai donc eu mon premier usager pour un stage individuel. Pour être en stage individuel, il faut être autonome, ce qui veut dire qu’on n’a pas besoin d’être assis à côté de la personne toute la journée.
Après 6 mois environ, tout roule bien, nos locaux s’agrandissent, donc j’ai plus d’espace à offrir, mais j’ai surtout plus de cartouches à trier. Le CRDITED me propose d’implanter un « plateau de travail ». Qu’est-ce que ça mange en hiver ça ? Dans notre cas, un plateau de travail consiste à intégrer 7 à 8 usagers qui ont une trisomie, un trouble de l’autisme ou un autre type déficience intellectuelle. Wow, imaginez 7 à 8 personnes qui débarquent d’un coup. Dans ce temps-là on était environ 35 employés. C’est un pas de géant. Peut-être un gros risque aussi ! Je me questionne et je fais un petit tour de table dans notre minuscule cafétéria de l’époque pour savoir ce que les autres employés en pensent. L’idée fait l’unanimité et tous se montrent très ouverts.
Avant d’aller officiellement de l’avant, quelques futurs membres du plateau viennent visiter nos locaux et faire connaissance. Je me rappelle ce premier jour comme si c’était hier. Un employé vient me chercher à mon bureau et me dit mot pour mot :
« Matthieu, y a du drôle de monde qui te demandent à la porte ».
À voir sa face, il était évident qu’il n’avait pas pu être là durant le tour de table dans la cuisine. Ils m’attendaient tous sur le bord de la porte, un grand, un petit, un plus rond. Quand un candidat arrivait à cette porte pour une entrevue, j’ai souvent trouvé la réaction un peu fake. Comme si on devait être heureux de se voir, mais qu’on ne se connaissait pas. Et bien ce n’était pas le cas avec eux. Un peu à cause de leur déficience j’imagine, ils sont toujours naturels et ce naturel parlait de lui-même. Ils ne sont pas susceptibles et disent toujours ce qu’ils pensent. Je peux vous dire qu’ils étaient prêts pour relever un nouveau défi dans un nouvel environnement de travail. Ils avaient en moyenne 30 ans. On s’est assis dans un petit local pour jaser et apprendre à se connaitre. Je me présente : « Matthieu …. » et soudainement l’un d’eux me coupe.
« Comme mon frère ! » me dit-il un sourire jusqu’aux oreilles. Voilà, à en voir ses yeux, on avait déjà un point en commun. Best friend ever !
On continue à échanger. Je me suis dit que pour mieux les connaitre et les aider à atteindre leurs objectifs, il fallait savoir quels étaient leurs objectifs.
« Alors, c’est quoi votre rêve dans la vie ? » À tour de rôle, j’obtiens ces réponses :
« Comédien et faire du théâtre » ;
« Travailler dans les jeux vidéo » ;
« Moi aussi j’aime les jeux vidéo » ;
« Avoir une blonde ! »
« Ha, moi aussi j’aimerais ça avoir une blonde » !
Ils étaient tellement naturels dans leurs réponses. C’était beau à voir. Finalement, ils ont tous dit qu’ils voulaient avoir une blonde. Je peux les comprendre, j’y avais aussi souvent rêvé durant mon adolescence. J’étais déjà vendu et j’avais juste hâte d’aller de l’avant avec le projet.
Pour ceux qui ne le savent pas, on ne m’a pas laissé un plateau de travail entre les mains. Dès le premier jour, on a eu la chance d’avoir sur place une personne-ressource fournie par le CRDITED qui veille à ce que tout se passe bien d’un point de vue organisationnel et opérationnel. C’est leur travail, ils sont formés pour ça et ils sont très compétents.
J’estime qu’il aura fallu 2 à 3 mois tout au plus pour que tout roule comme sur des roulettes et que le plateau devienne plutôt autonome. Maintenant, c’est notre DreamTeam comme vous pouvez les voir dans cette vidéo :
Cela fera bientôt 2 ans et demi que Cartouches Certifiées a intégré un plateau de travail et donné la chance à 7-8 personnes de travailler, de se dépasser chaque jour et surtout de participer collectivement à la société. Ils sont intégrés entièrement à l’entreprise. On connait leurs noms, ce qu’ils aiment, leur type d’humour, etc. Le taux de roulement est nul depuis le début et ils excellent à faire un travail que la majorité du monde n’aimeraient pas faire à long terme.
C’est un autre SUCCÈS !
Je voulais trouver une façon pour les remercier de leur implication et de leur bon travail. Comme ils sont presque tous fan des jeux vidéo et que pour certains c’était leur rêve de travailler dans cette industrie, j’ai voulu leur faire vivre une expérience hors du commun. À Noël dernier, plutôt que de leur donner une carte cadeau de Best Buy, je leur ai fait croire qu’on allait diner dans un resto tout près. Trois coins de rues plus tard, ils sont au coin St-Laurent et St-Viateur. Jusqu’à date tout est normal, sauf qu’au lieu de traverser la rue, les intervenantes du CRDITED leur disent de monter les escaliers du bâtiment qui se trouve à côté d’eux. Pour ceux qui ne savent pas, ils se dirigeaient vers le plus gros employeur du quartier, la Mecque du jeu vidéo à Montréal : Ubisoft !
J’avais été capable d’organiser une séance de jeux vidéo dans leur laboratoire de test. Merci encore à Philippe Leduc et Benoit Brière pour votre ouverture et votre temps pour avoir permis de concrétiser ce projet. Si vous aviez pu voir leur réaction en arrivant dans le hall d’entrée d’Ubisoft, ça voulait tout dire.
Ça ne s’arrête pas là !
Suite à une problématique de taux de roulement des employés au département de triage des cartouches vides, j’ai décidé d’embaucher une personne sourde. Je me suis dit qu’un problème de surdité n’aurait aucun impact négatif sur la productivité à long terme, car les tâches nécessitent surtout un contrôle de qualité visuel. Une personne qui n’a pas le sens de l’ouïe a certainement un sens de la vue plus développé. J’ai alors appelé l’organisme AIM Croit (Centre de réadaptation, d’orientation et d’intégration au travail), qui m’a rapidement suggéré une candidate. J’avais préparé des questions à l’avance que j’ai pu imprimer pour l’entrevue. Une intervenante du AIM Croit était présente pour faire de la traduction de signe, mais comme ce n’était pas une interprète officielle, j’ai vite compris que le langage des signes est souvent plus simple qu’on pense. Après une visite guidée de l’entreprise et des tâches à faire, je n’avais pas de doute que tout allait bien se dérouler. Pour réduire le risque en tant qu’employeur, j’ai pu bénéficier d’un incitatif avec Emploi-Qc qui subventionne une partie du salaire de cette employée. C’est ce qu’on appelle un Contrat d’intégration au travail (CIT). Cette personne est chez Cartouches Certifiées depuis un peu plus de 2 ans déjà. Elle travaille bien et s’est relativement bien intégrée compte tenu du fait qu’elle ne peut pas facilement communiquer avec ses collègues. Voici comment on peut rendre une problématique de taux de roulement en une solution gagnante.
C’est un autre SUCCÈS !
Après un peu plus d’un an, je me suis dit qu’il fallait trouver une solution pour faire de la rétention de cette employée sourde. Comme je disais, elle ne peut malheureusement pas communiquer facilement avec ses collègues. Je trouvais qu’il lui manquait quelqu’un pour parler (par les signes) dans son quotidien. Notre département est en constante croissance et la solution la plus simple était d’offrir une chance de travailler à une autre personne ayant un problème de surdité. Il fallait répéter une solution gagnante. J’ai rappelé le AIM Croit, et nous avons refait le même processus. Cette fois, pour l’entrevue, j’ai fait venir notre employée sourde qui a su expliquer les tâches à faire, le type d’entreprise et l’environnement de travail. Un jeu d’enfant cette fois-ci ! Cela fait presque 5 mois aujourd’hui qu’une 2e employée avec un trouble de surdité fait partie de notre équipe. En plus d’offrir une opportunité à quelqu’un qui voulait vraiment travailler, j’ai pu consolider une équipe, m’assurer d’une stabilité de main d’oeuvre et profiter d’un soutien financier encore une fois par un CIT et Emploi-Qc.
C’est un autre SUCCÈS !
Finalement, si nous revenons en arrière un peu, j’avais un problème au département de comptabilité. Nous réalisons plus de 500 ventes par jour sur différents canaux de ventes. Ce qui nous fait une belle conciliation bancaire à faire à la fin d’un mois. Ce travail est plutôt répétitif et consiste à valider des milliers d’écritures comptables dans des fichiers Excel. Même en utilisant des formules, quand ça ne balance pas, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais qui peut se plaire dans ce type de travail routinier, plutôt complexe vu la quantité de transactions à valider, mais pas assez complexe pour que ça reste un défi intéressant à long terme pour un technicien comptable? Je me suis dit qu’un autiste de certain niveau serait surement la personne idéale. J’ai donc appelé plusieurs organismes et le premier qui m’a répondu positivement était le SDEM SEMO Montérégie (Service d’aide à l’emploi et de placement en entreprises pour personnes handicapées).
On était au début de 2015. Un conseiller m’appelle et m’informe qu’il a un candidat qui a fait un DEP en comptabilité. C’est exactement le profil académique que je recherche. Mais j’étais tout de même inquiet sur son potentiel en entreprise, car il n’avait pas d’expérience de travail à son actif. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’il n’avait pas encore son diplôme de DEP et ce, même s’il avait passé tous ses cours. Malheureusement, comme personne n’avait voulu lui offrir un stage de fin d’étude, il n’avait pas pu obtenir son diplôme encore. On parle d’un stage non rémunéré en plus de seulement quelques semaines. Ça faisait presqu’un an qu’il cherchait un stage et le conseiller m’informe que s’il n’en trouve pas un bientôt, il risquait que son DEP ne soit plus reconnu. C’est triste non ? Mettez-vous à sa place. Imaginez ne jamais trouver de stage à la fin de vos études, ce qui fait en sorte que votre diplôme ne soit pas reconnu. Je voulais au moins lui donner sa chance, mais comme je n’ai personne en poste, je n’ai personne pour s’occuper de lui durant son stage. Je décide de le passer en entrevue quand même pour voir qui il est, quitte à lui offrir un stage quand j’aurai trouvé un candidat qui pourra s’occuper de lui. Je lui fais passer un petit test Excel, plutôt simple pour ceux qui disent savoir utiliser Excel dans leur CV, mais qui me permet rapidement de filtrer ceux qui finalement ne savent pas du tout comment se servir d’Excel. Il n’y a que 7 questions dans ce test. Je laisse habituellement 5 à 10 minutes et je reste dans la pièce surtout pour voir comment le candidat réfléchit pour trouver les informations et répondre aux questions. Il y a plusieurs façons d’arriver à Rome et c’est ce que j’évalue durant ce test. Je vous confirme que ce n’est pas un test très poussé, mais dans 90% des cas, personne n’est arrivé comme il faut à trouver toutes les réponses. À vrai dire c’était souvent même désastreux que quelqu’un mette la compétence Excel dans son CV et qu’à la 2e question, son test soit fini.
Revenons à nos moutons. Ce candidat autiste que m’a présenté le SDEM SEMO a non seulement fait le test en moins de 5 minutes, sans hésiter, mais il m’a même surpris à trouver la réponse d’une des dernières questions d’une manière que je n’avais jamais anticipée. Un mélange de filtres, de tries et de conditions qui donnaient au final un tableau avec les données qu’on cherchait. Dans ce temps-là on ne s’obstine pas longtemps. J’avoue que j’avais un sourcil fronceur quand je l’ai vu cliquer un peu partout en me disant: « Mais dans quoi il s’embarque ? ». Ce ne fut pas long que ma face a dit à mon sourcil de se replacer pour laisser place à un sourire en coin d’étonnement. J’ai été positivement impressionné, car il avait réussi le test que j’essayais de faire passer aux candidats que je voulais embaucher pour ce poste de commis comptable. Je lui ai donc offert un stage qui a duré 3 mois finalement.
Durant ces 3 mois, je l’ai formé pour qu’il soit capable d’intégrer l’entreprise à temps plein pour un poste permanent. Quand je dis formé, je le dis humblement et très légèrement, car il avait les bonnes bases. La seule difficulté était au niveau de la communication. J’ai appris qu’il était souvent plus facile de communiquer par Skype avec lui. Les autistes ne sont pas très émotifs et communicateurs, alors se parler en écrivant était très facile au début. Cela fait maintenant 1 an et demi qu’il est chez Cartouches Certifiées. J’ai eu ce que je cherchais: de la stabilité. Il est efficace et rien ne le déconcentre. Il a pu avoir son diplôme en plus.
C’est un autre SUCCÈS!
En conclusion, il y a toujours un côté positif à s’impliquer socialement et ce, même pour une entreprise à but lucratif. À court terme, j’ai pu vous énumérer des avantages financiers. À long terme, j’ai pu résoudre des problématiques de taux de roulement élevés. Pour le reste, et qui ne se quantifie pas vraiment, ce sont les valeurs que cela ajoute à notre entreprise. Les employés en sont fiers, tout comme nos clients et partenaires. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à me les poser. Autant qu’une entreprise paye ses taxes et ses impôts, je pense qu’il devrait être obligatoire de démontrer dans nos rapports de fin d’année un minimum d’implication sociale.
Matthieu Laroche
Président et Cofondateur de Cartouches Certifiées
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Voici la liste des organismes que j’ai cités dans ce texte et les coordonnées de mes contacts.
Opération Placement Jeunesse
(a pour mission l’intégration socioprofessionnelle des jeunes de 16 à 30 ans éloignés du marché du travail.)
CRDITED de Montréal
(Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement de Montréal)
Mon contact est Patrick Benodin : [email protected]
AIM Croit
(Centre de réadaptation, d’orientation et d’intégration au travail) J’ai eu plusieurs contacts, mais en voici qui pourra vous aider :
Julie Plante, conseillère en emploi : [email protected]
SDEM SEMO Montérégie
(Service d’aide à l’emploi et de placement en entreprises pour personnes handicapées)
Mon contact est Ouali Yacine, conseiller à l’intervention : [email protected] ou Christine Larrivée, conseillère aux partenaires: christine.larrivé[email protected]